Enseignement et colonisation dans l’Empire français
 

La politique française pour l’adaptation de l’enseignement dans les pays d’Afrique nouvellement indépendants : comment reconfigurer l’Empire ?

En établissant sur un plan de stricte égalité les nou­veaux rap­ports entre la République fran­çaise et les Etats de la com­mu­nauté de l’Outre-Mer, la Constitution de 1958 devait entraî­ner un cer­tain nombre de modi­fi­ca­tions dans les struc­tu­res gou­ver­ne­men­ta­les.

C’est ainsi que le Ministère de l’Education Nationale se vit trans­fé­rer le 27 mars 1959 la Direction de l’Enseignement et de la Jeunesse du Ministère de la France d’Outre-Mer. A la date du 1er août, cette Direction se fon­dait avec le Service Universitaire des Relations avec l’Etranger et l’Outre-Mer, en une Direction de la Coopération avec la Communauté et l’Etranger. Il appar­tint dès lors à la DCCE d’élaborer et de mettre en œuvre un pro­gramme de coo­pé­ra­tion cultu­relle et tech­ni­que en direc­tion des pays afri­cains accé­dant pro­gres­si­ve­ment à l’indé­pen­dance.

La liai­son entre la France et les pays afri­cains en matière d’ensei­gne­ment se ren­força avec la série de confé­ren­ces qui réu­ni­rent repré­sen­tants fran­çais et afri­cains en 1959-1963. Le Colloque sur « la recher­che scien­ti­fi­que et tech­ni­que et le déve­lop­pe­ment économique et social des pays afri­cains », qui se tint à Dakar et Abidjan en décem­bre 1959, ras­sem­bla 250 per­son­na­li­tés dont 110 Français. Les per­son­na­li­tés pré­sen­tes ado­ptè­rent le 20 décem­bre ce qu’on appela le Manifeste d’Abidjan et choi­si­rent de faire « confiance à la France et aux gou­ver­ne­ments des pays afri­cains d’expres­sion fran­çaise, notam­ment ceux de la Communauté, pour consa­crer à sa réa­li­sa­tion les moyens néces­sai­res en cré­dits et en hommes, coor­don­nées selon des plans métho­di­ques arrê­tés en commun1 » Les confé­ren­ces des minis­tres afri­cains de l’Education natio­nale qui se tin­rent à Paris en 1960-1963 expri­mè­rent quant à elles leur atta­che­ment à la coo­pé­ra­tion et notam­ment à l’adap­ta­tion des pro­gram­mes fran­çais aux réa­li­tés du conti­nent à l’occa­sion d’une série de ren­contres. Les conven­tions bila­té­ra­les signées entre la République fran­çaise et les Etats afri­cains dans le domaine de l’ensei­gne­ment et de la culture défi­ni­rent le cadre formel de la coo­pé­ra­tion entre l’ex-métro­pole et ses ex-colo­nies.

S’établit alors une rela­tion par­ti­cu­lière où l’ancienne puis­sance colo­niale pro­posa son aide pour, d’une part, pro­mou­voir une « afri­ca­ni­sa­tion » des pro­gram­mes et des moyens mis en œuvre et, d’autre part, sus­ci­ter la mise en place d’un sys­tème d’ensei­gne­ment connecté à sa propre orga­ni­sa­tion ins­ti­tu­tion­nelle2. En effet, si la nou­velle stra­té­gie fran­çaise devait s’insé­rer dans un nou­veau contexte poli­ti­que et sup­po­sait « la néces­sité d’un effort métho­di­que et très souple dans ses adap­ta­tions loca­les », un objec­tif stra­té­gi­que était clair : « le génie fran­çais [devait] y trou­ver l’occa­sion d’affir­mer par excel­lence sa voca­tion uni­ver­selle3 » . Cette réfé­rence au « génie fran­çais », qui n’est pas sans rap­pe­ler une cer­taine phra­séo­lo­gie colo­niale, sup­pose que l’on puisse inter­ro­ger la coo­pé­ra­tion comme un pos­si­ble avatar des ambi­tions colo­nia­les, dans un cadre poli­ti­que renou­velé. Promouvoir un ensei­gne­ment en fran­çais per­met­tait de pal­lier la déli­ques­cence de l’Empire colo­nial en en reconfi­gu­rant les contours dans le cadre de la fran­co­pho­nie. L’objec­tif prio­ri­taire consiste à mettre l’accent sur une période par­ti­cu­lière de reconfi­gu­ra­tion des anciens liens poli­ti­ques et cultu­rels et à faire appa­raî­tre les liens et rup­tu­res avec la période colo­niale.

Cela passe par l’examen de la nature du sou­tien apporté par le Ministère de l’Education Nationale et de ses ser­vi­ces4 en matière de recru­te­ment de per­son­nel, de for­ma­tion et d’adap­ta­tion des conte­nus et pro­gram­mes aux ins­ti­tu­tions fran­çai­ses. Nous avons prévu pour cela d’exa­mi­ner les archi­ves du minis­tère de l’Education Nationale dis­po­ni­bles aux Centre des Archives Nationales de Fontainebleau et de dépouiller sys­té­ma­ti­que­ment le Bulletin de liai­son du ser­vice de recher­che péda­go­gi­que de la DCCE5 . Il s’agira également de mesu­rer quelle fut la part d’ini­tia­tive, de négo­cia­tion et de réac­tion des Etats nou­vel­le­ment indé­pen­dants dans ce pro­ces­sus. Les Conférences des Ministres afri­cains de l’Education natio­nale qui établirent un cahier des char­ges de leurs desi­de­rata cons­ti­tue­ront une source inté­res­sante. Ce tra­vail sera com­plété par l’ana­lyse des accords de coo­pé­ra­tion bila­té­rale signés entre les Etats afri­cains et la France qui furent le résul­tat de ces pro­po­si­tions.

L’objec­tif de cette contri­bu­tion cons­ti­tue un pre­mier jalon dans une pers­pec­tive de recher­che que nous sou­hai­te­rions pro­lon­ger par une ana­lyse de la pra­ti­que du métier d’ensei­gnant dans le cadre de l’assis­tance tech­ni­que. Cela nous conduira à inter­ro­ger les condi­tions concrè­tes de la mise en œuvre des conte­nus dis­ci­pli­nai­res adap­tés ainsi que la nature des rela­tions entre­te­nues avec la popu­la­tion (élèves et col­lè­gues). Nous comp­tons pour cela pro­cé­der à des enquê­tes auprès d’ensei­gnants partis ensei­gner en Afrique dans les années 19606. Cette appro­che sera com­plé­tée par l’apport de cer­tai­nes revues ayant publié des témoi­gna­ges de pro­fes­seurs7.

Bulletin de liaison, Service de recherches pédagogiques pour les pays en voie de développement, n°19, 1er trimestre 1960, p. 3.

La formation et les diplômes restaient français, non pas seulement de validité équivalente mais identiques et « valables de plein droit » sur le territoire français.

Journal Officiel de la République française, Avis et rapports du Conseil économique et social, Session de 1963, séance du 26 mars 1963, « Les méthodes de coopération en matière d’enseignement et de formation dans les pays en voie de développement », p. 314. Le Conseil économique et social fut saisi de cette question en application de l’article 3 de l’ordonnance du 29 décembre 1958.

Notamment la DCCE et l’Institut Pédagogique National par le biais du Service des recherches pédagogiques pour les pays en voie de développement (SERPED).

Bulletin de liaison. Service de recherches pédagogiques pour les pays en voie de développement, 1957-1963 publication à usage interne devenue Coopération pédagogique, 1963-1965.

Travail réalisé dans le cadre du projet conduit par le laboratoire SEDET-CNRS de l’Université Paris 7-Denis Diderot visant à collecter des témoignages de coopérants afin de scruter leur place et leur rôle dans les pays africains après les indépendances.

Notamment le Bulletin de liaison des agents de la coopération technique, Cahiers pédagogiques