Dans les rares recherches portant sur l’école en « situation coloniale » (G. Balandier), rares sont les travaux qui abordent explicitement la question des pratiques effectives de classe. Soit que les sources manquent, soit que l’on préfère s’attacher aux discours généraux sur la place qu’occupait l’enseignement en situation impériale, dans le cadre de l’idéologie coloniale, entre assimilation et politiques publiques, entre résistances locales et analyses globales sur la domination coloniale (Savarèse, 2003).
La proposition que je voudrais soumettre vise à analyser dans le détail et l’exhaustivité une source pas ou exceptionnellement étudiée : celle des journaux ou bulletins pédagogiques à destination des maîtres en situation coloniale d’enseignement. Je voudrais proposer une analyse de ce qu’ils proposent en termes de partage d’expériences pédagogiques en matière d’enseignement de l’histoire et de la géographie, de pistes pour la classe ou de récits de pratiques. Envisager cette source, dans le cadre d’une analyse tant externe qu’interne, c’est tenter d’appréhender, dans le cadre d’une anthropologie scolaire, les lendemains de la seconde guerre mondiale et le contexte d’un profond changement de regards sur la colonisation. Dans ce contexte, les journaux pédagogiques de l’école primaire envisagent de mettre à disposition des maîtres des cahiers spécifiques insérés dans le volume général disponible en métropole, afin de favoriser une prise en compte des particularités de l’enseignement en terre coloniale. Ce fut le cas en Algérie et dans tous le Maghreb avec le Journal des Instituteurs d’Afrique du nord (Falaize, 2007). Mais également dans l’AOF, avec la publication d’un Journal des Instituteurs de l’Afrique noire, de la rentrée scolaire de 1948 à 1967, principale ressource pour les enseignants, notamment ceux de plus en plus majoritaires habitant loin des quelques centres urbains. Le Journal des Instituteurs de l’Afrique noire sera dépouillé intégralement, accompagné des bulletins régionaux encore disponibles partiellement dans les différents fonds d’archives métropolitains (BNF, Archives d’Aix en Provence), ainsi que de cahiers d’élèves disponibles au Musée de l’éducation de Rouen (INRP).
La communication aura à aborder la situation de l’enseignement de l’histoire-géographie à l’école primaire dans l’ensemble de l’AOF, dans ses pratiques effectives les plus quotidiennes, dans un contexte particulier. Après la seconde guerre mondiale, le Maghreb comme l’AOF sont soumis comme l’ensemble de l’empire français à une remise en cause de ces cadres de fonctionnement ainsi qu’au développement d’une élite locale de plus en plus critique à l’égard de la métropole. Les discours sur l’école s’y développent alors que le courant assimilationniste s’affirme (Coquery-Vidrovitch, 1992 ; Coquery-Vidrovitch, Moniot, 2005). Par ailleurs, la période qui suit la conférence de Brazzaville est riche d’initiatives pédagogiques visant à développer, comme en métropole, des pratiques d’enseignement plus proches de l’environnement des élèves. Car le contexte est aussi celui du développement des pratiques modernes d’enseignement, où l’environnement proche des élèves tient une place considérable.
De plus, l’après-Brazzaville est aussi le moment de la clôture du cycle d’une écriture de l’histoire coloniale telle qu’elle avait vécu jusqu’aux années 1930-1940 : « La seconde guerre mondiale interrompit brutalement les efforts de rationalisation historique de la conquête coloniale (Lakroum, 1992). Alors que se développent en AOF les mouvements politiques pour l’indépendance, relayés par le plein essor d’une littérature « noire », portée par d’anciens élèves de l’école publique coloniale française, le principe d’application de l’assimilation au sein de la Communauté française bat son plein. Le Journal des Instituteurs de l’Afrique noire témoigne à bien des égards de ces contradictions coloniales, à l’heure aussi où l’explosion scolaire a très vite dépassé (dans les années 50) tous les plans (Valette, 1994)
La communication aura pour objectif de relever, dans les contenus mêmes de l’enseignement dispensé en AOF, et pas seulement dans les seules prescriptions, les lignes de force des disciplines engagées traditionnellement pour la définition de la construction d’une appartenance citoyenne commune : l’histoire et la géographie. Quelle histoire était proposée en classe ? Quelle géographie était montrée et dite aux élèves ? Faut-il considérer la phrase « Nos ancêtres les Gaulois » (Bouche, 1968) comme un mythe ou une réalité scolaire à l’œuvre dans le cadre de l’assimilation en Afrique occidentale française après la conférence de Brazzaville ? Quelle place le milieu local d’enseignement et le souci d’adaptation scolaire des programmes ont occupé chez un corps d’instituteurs conscient du rôle civilisateur de l’école française mais parfois critique de l’œuvre française en terre coloniale ? Seul l’examen des éléments de pratiques de classe repérables en AOF de 1945 à 1960 peut permettre de réponde à ces questions, au-delà des débats idéologiques et des prescriptions scolaires. La question sera de mieux cerner le quotidien et l’ordinaire des classes, entre ordre colonial et pratiques complexes, entre cadre national et impérial et prise en compte du milieu local d’enseignement, à l’heure du développement d’une politique d’assimilation menée parallèlement au développement massif de l’éducation en AOF.