F. Furet et J. Ozouf dénoncent le lien de causalité qui, en Métropole, lie au premier abord l’école à l’alphabétisation : la séquence scolarisation-alphabétisation, credo du XIXème siècle, apparaît de plus en plus douteuse, même si le développement des écoles au XIXème siècle, et leur prise en charge par l’État, se sont accompagnés d’une accélération de l’alphabétisation, parallélisme qui suggère un rapport de causalité1. La question qui se pose à propos de l’alphabétisation des Français en Métropole est donc celle de la responsabilité du développement de l’infrastructure scolaire dans la massification de la capacité à lire et écrire. Si la corrélation entre l’existence de « maisons d’école » et le niveau général d’instruction n’est pas si étroite qu’on pouvait le penser, comme le démontrent F. Furet et J. Ozouf, l’enjeu de la recherche devient la mise au jour des facteurs qui ont joué un rôle dans cette extension, et de leur place par rapport à l’institution scolaire.
En contexte colonial, la question ne paraît pas pouvoir être posée en ces termes, et c’est ce dont témoigne l’expérience de la Nouvelle-Calédonie. Le niveau d’alphabétisation des tribus kanak, si tant est que le recensement puisse le mesurer cinquante ou soixante ans après la sortie du système scolaire, ne suggère en rien une généralisation de la capacité à lire et à écrire : le passage d’une alphabétisation « restreinte » à une alphabétisation généralisée semble loin d’être en voie d’achèvement à la veille de la Seconde Guerre mondiale. La liaison école/instruction n’est donc pas évidente. Il s’agit dès lors de comprendre comment l’illettrisme a pu demeurer la règle, en dépit de l’existence d’un réseau scolaire comparativement aux autres colonies de l’Empire.
S’il est un domaine où le décalage entre la volonté affichée par les autorités coloniales et les résultats obtenus auprès des tribus est patent, c’est bien celui de l’apprentissage de la langue du colonisateur, le français. Ou plutôt, il faut interroger un paradoxe apparent : si l’on s’en tient à la législation, il est vrai que l’exclusion des « idiomes néo-calédoniens », une trentaine, a été posée dès les premières années de la présence française (en 1863 plus précisément), et maintes fois réitérée par la suite mais, dans le même temps, la maîtrise de la langue française par les générations scolarisées du temps de l’indigénat est loin d’être évidente. La pratique des (nombreuses) langues vernaculaires reste aujourd’hui une réalité, suggérant que le français s’est davantage superposé aux langues vernaculaires qu’il n’a contribué à les faire disparaître, ce qui invite à mettre en question la « glottophagie » du colonialisme (Calvet2), dans les formes qu’elle a prises en Nouvelle-Calédonie. Fille d’une doctrine coloniale à la cohérence souvent ambiguë dès lors qu’il s’agissait du sort des tribus kanak mises en réserves, cette politique est rétrospectivement loin d’avoir eu les effets escomptés. L’analyse de la place effectivement accordée à la langue française dans l’enseignement va être l’occasion de vérifier à quel point l’équilibre instable entre les exigences de la « mission civilisatrice » et les conflits d’intérêt locaux a façonné la réalisation du projet scolaire.