Cet article propose une analyse comparée des réseaux d’écoles congréganistes, de la Mission laïque française et de l’Alliance israélite universelle, Syrie-Liban-Palestine (de la fin de l’Empire ottoman à l’Indépendance). Je me propose d’étudier l’enseignement de la langue française dans les écoles françaises au Proche-Orient arabe à l’heure de la colonisation. Quelle que soit leur nature, écoles congréganistes ou laïques, celui-ci est la base de ce que tous défendent et cherchent à appliquer au Levant sous influence française, c’est-à-dire cette « mission civilisatrice » que partagent les missionnaires jésuites, lazaristes ou protestants aussi bien que ceux de la Mission laïque ou de l’Alliance israélite.
Cet enseignement passe bien entendu par l’apprentissage de la langue comme par celui des « matières classiques », l’histoire en premier lieu, vecteur d’un enseignement civilisationnel, et même de la religion, moyen d’un prosélytisme parfois déguisé. Un enseignement de la langue française au service de la France et de ses intérêts dans la région, même si tous les acteurs ne sont pas d’accord pour définir cette France. Voir la formation des « levantins » dans les grands collèges missionnaires jésuites ou des Frères des Ecoles chrétiennes comme en Egypte, au Caire ou à Alexandrie.
Il faudra nécessairement lier cet enseignement à une « chronologie française » : celle des étapes de la pénétration française dans les régions arabes de l’Empire ottoman puis sous Mandat (présence perçue par les Puissances comme d’abord linguistique), celles des conflits de l’anticléricalisme en France ou des stratégies locales des différents acteurs, issus de la métropole, Français et concurrents, comme arabes.
Il ne faudra pas négliger l’attrait qu’exerce la langue française, principal motif de l’appropriation des établissements scolaires étrangers par les élites arabes sunnites et les minorités en premier lieu chrétiennes. Le français, vecteur de modernisation des sociétés levantines ? L’enseignement du français comme exemple de cette soi disante supériorité ? On pourra à cet égard observer les différences dans les méthodes d’enseignement avec les établissements « indigènes » qu’ils soient musulmans, laïques ou inspirés des tanzimats, ces réformes de l’Empire ottoman, comme le Maktab Anbar à Damas. Il faudra également réfléchir sur la place de l’arabe dans les écoles françaises et sur les différences avec cet enseignement.
Il demeure qu’il faut bien se garder d’un tableau trop monolithe. Le discours des professeurs de la Mission laïque se veut justement en opposition avec celui jugé rétrograde des congréganistes. Il faudra également montrer l’évolution des méthodes pédagogiques, du « signal » aux méthodes audio-visuelles qui se veulent les plus modernes.
Il faut en fin de compte insister sur le décalage entre les principes (oppositions métropolitaines entre laïcs et congrégations, principes d’éducation, …) et les réalités locales et politiques. Il faut en particulier tenir compte des interférences des acteurs locaux et des sociétés arabes et levantines (Juifs, arméniens, …) dans l’élaboration de stratégies éducatives par les parents d’enfants musulmans ou la question des autres langues étrangères enseignées (italien ou anglais).
En jouant des échelles, on analysera les différents réseaux scolaires au Proche-Orient pour les confronter aux donneurs d’ordres métropolitains à Paris ou à Rome (congrégations, MAE, MLF, AIU). En nous appuyant sur le dépouillement des archives rédigées par les missionnaires laïcs et congréganistes de la France, nous chercherons à rendre leur vision de la présence culturelle française comme de celle de leur enseignement. En partant donc d’un destin individuel, celui d’un collège français en Syrie ou au Liban, on peut faire surgir les relations franco-arabes et remonter jusqu’à l’élaboration à Paris comme à Rome d’une politique éducative. C’est là que se construit la parole officielle, celle du ministère des Affaires étrangères et de la Propaganda fide qui prétendent prendre en charge l’enseignement étranger dans les provinces ottomanes sous influence française puis dans les Etats sous Mandat, mais ce sont bien les missionnaires de la France au Levant, lazaristes, maristes, Filles de la Charité, membres de la Mission Laïque ou de l’Alliance israélite universelle, qui en sont les relais.