L’école, sous sa forme européenne, fut exportée en Afrique dans le but d’asseoir la domination coloniale et de former les agents locaux pour l’exploitation économique des territoires colonisés. Son institution entraîna des réactions multiples des populations : du rejet à l’acceptation, de l’accommodement aux stratégies d’évitement. Le rapport à l’école révélait ainsi la complexité du rapport des populations à l’Etat dans le cadre de la domination coloniale.
Le Sénégal, de par son ancienneté dans l’Empire français, fit office de colonie d’avant-garde dans le processus de scolarisation : les infrastructures scolaires, tant primaires que secondaires et supérieures, y furent plus nombreuses que dans les autres colonies françaises d’Afrique de l’ouest. Les familles des Quatre-Communes eurent très tôt l’opportunité de scolariser leurs enfants et d’intégrer ainsi les nouvelles voies professionnelles, dans le commerce et l’administration, créées dans le contexte de la domination coloniale. A contrario, les régions périphériques de la colonie restèrent dans l’ensemble en marge. La Casamance, région située au sud de la Gambie et représentant environ 1/7ème du territoire sénégalais, est cependant un cas à part car elle intéressa, dès la seconde moitié du 19ème siècle, les missionnaires protestants et catholiques qui y ouvrirent des écoles. La scolarisation y précéda donc, en certains endroits, la domination coloniale et l’offre scolaire y fut ainsi plus importante qu’ailleurs. Jusqu’au lendemain de la Première Guerre mondiale, les populations rurales furent cependant marginalement concernées par l’école : les établissements étaient en effet principalement ouverts dans les villes et les centres administratifs importants. Ce fut à partir des années vingt que les premières demandes d’ouvertures d’écoles émanèrent des populations, dans les points de traite. Dans les villages de Marsassoum et de Tanaff, les commerçants furent à l’origine de l’implantation d’écoles selon des modalités différentes que nous souhaitons définir.
A partir des années trente et jusqu’à l’indépendance de la colonie du Sénégal, l’offre publique et privée spécifiquement en Casamance, grossit ; l’accès à l’école se « démocratisa » progressivement et toucha plus « massivement » les populations rurales. Les taux de scolarisation en Casamance dépassèrent largement la moyenne nationale. Nous évoquerons notamment le cas du canton des Djougouttes Nord : mes recherches ont permis de montrer que le succès de l’école dans le canton le plus scolarisé d’AOF à partir des années trente est plus dû à un jeu d’influences politiques et aux rapports de forces entre les villages qu’à une adhésion collective au projet scolaire. Après 1945, avec la mise en place du Fonds d’Investissement pour le Développement Economique et Social (FIDES) et du Fonds d’Equipement Rural pour le Développement Economique et Social (FERDES), l’émergence de forces politiques, nées de la scolarisation, au sein des populations africaines, les demandes sociales d’écoles se multiplièrent et les villageois n’hésitèrent plus à faire appel à leurs représentants politiques pour obtenir des infrastructures scolaires.
Dans le cadre de cette communication, nous tenterons donc de comprendre les mécanismes qui sous-tendent le processus de scolarisation en Casamance en centrant l’analyse sur le rôle des groupes sociaux et des communautés. La région est un champ d’étude privilégié pour observer les logiques de scolarisation : la diversité des situations permet en effet de mettre à jour la complexité du rapport des populations à l’école et son évolution. Le jeu d’échelle, du national au régional, du canton au village, permet d’identifier la multiplicité et la complexité de ces logiques et de mettre à jour des configurations inédites.