Le service de l’enseignement de la colonie française de Madagascar, fondé dès le début de la colonisation, en 1896, est le fer de lance dans l’île de l’Etat colonial en matière d’enseignement. Ce service est construit sur une dualité entre un enseignement (pour) européen et un enseignement (pour) indigène. L’enseignement européen est calqué sur celui de la métropole : il va de la maternelle jusqu’au lycée et permet d’accéder au brevet de capacité colonial, équivalent du baccalauréat. L’enseignement indigène quant à lui est divisé en trois degrés, agencé de manière concentrique pour les matières enseignées et en entonnoir au niveau des places. Il est conçu comme un instrument idéologique dans le cadre de la domination française, mais est aussi pensé comme devant servir le colonat et l’administration. Il n’est pas question ici de s’arrêter sur le type d’enseignement, son élaboration et ses objectifs1, mais plutôt de s’intéresser aux personnes censées l’appliquer, en être les représentantes et qui en vivent matériellement parlant : les enseignantes et les enseignants. Entre 1896 et 1960, plusieurs centaines de personnes travaillent comme enseignantes ou enseignants avec le statut « d’européens », par opposition à la situation des « indigènes », dans le service de l’enseignement du gouvernement général de Madagascar. La différence de statut implique des différences de droits tout comme de positions dans une société où la distinction colonisateur/colonisé est fondamentale et où un code de l’indigénat s’applique jusqu’à l’après Seconde Guerre mondiale.
Cette communication s’intéresse particulièrement à la situation de ces enseignants et enseignantes de statut « européen ». Elle mettra dans un premier temps en évidence des éléments statistiques prenant en compte la répartition par sexe (femme/homme), domaine d’enseignement (primaire/secondaire), type d’enseignement (européen/indigène), statut (titulaire/auxiliaire) et permettant de mieux cerner quelques éléments clefs du corpus concerné, en prenant en compte la longue durée et des temporalités plus restreintes, mais aussi les géographies (département de naissance, département d’origine de rattachement administratif…) permettant de percevoir une géographie des carrières coloniales et plus généralement de mieux discerner les continuités et les ruptures dans l’évolution de ce personnel, en notant en particulier la place des femmes, et notamment des institutrices auxiliaires comme variables d’ajustement pour le service de l’enseignement.
Dans un second temps, cette communication va porter sur les perceptions qu’ont ces personnels de la « mission civilisatrice » et de la présence coloniale, c’est à dire d’une idéologie dont ils et elles semblent être les représentant-e-s les plus évident-e-s du point de vue métropolitain. Cette approche se fait sur trois périodes, dont le découpage se fonde sur les ruptures les plus importantes dans l’enseignement à Madagascar, chacune étant une conséquence des Guerres mondiales et de la mobilisation d’une partie de la population malgache. Trois temps ont été dégagés : celui de la mise en place (1896-1916), celui de la stabilité (1917-1951) et celui de l’accompagnement à l’autonomie (1952-1960), en se demandant si l’indépendance (1960) constitue réellement une rupture dans la vision qu’a le personnel enseignant « citoyen français » de l’objectif d’enseignement et donc de sa présence à Madagascar.
Ce travail repose sur le dépouillement de plus de 1600 dossiers individuels d’enseignantes et d’enseignants aux archives nationales de Madagascar (ANM) d’Antananarivo et au centre des archives d’outre-mer (CAOM) d’Aix-en-Provence dans le cadre d’une prosopographie ainsi que sur l’étude des archives de l’enseignement colonial à Madagascar du CAOM. Par ailleurs, ce travail s’appuie sur des archives privées et des mémoires individuels, les plus conséquents étant ceux de Sosthène Pénot, instituteur à Madagascar de 1904 à 1933, passé par la Mission laïque française et d’Emile Autran, instituteur à Madagascar de 1938 à 1956. Les évolutions de carrières de ces deux personnes sont intéressantes : l’un la termine en tant que directeur de l’école Le Myre de Vilers, école du troisième degré de l’enseignement indigène formant notamment les instituteurs malgaches, dont certains ministres de la Première République malgache, l’autre étant responsable pendant une décennie d’une des trois « académies » de l’île, celle de Majunga. L’utilisation de ces sources permet d’établir une comparaison entre des carrières, des positionnements individuels d’une part et une approche plus statistique et plus large du corpus d’autre part.
Sur la question de l’enseignement à Madagascar pendant la période coloniale se reporter aux différents travaux de : Philippe Hugon [1975], Faranirina V. Esoavelomandroso [1976], Jacqueline Ravelomanana-Randrianjafinimanana [1978], Monique Ratrimoarivony Rakotoanosy [1986], Francis Kœrner [1999], Anne-Marie Goguel [2006].