Enseignement et colonisation dans l’Empire français
 

La crise de l’enseignement en Afrique Occidentale Française, 1944-1950

À la fin de la Deuxième Guerre mon­diale, l’ensei­gne­ment colo­nial en Afrique occi­den­tale fran­çaise a connu une crise pro­fonde – une crise qui n’a tou­jours pas été étudiée dans toute sa com­plexité. Comment com­pren­dre la dis­pa­ri­tion rapide des formes d’ensei­gne­ment « colo­nial » qui avaient été élaborées entre 1903 et 1944 ? Et com­ment se fait-il que l’ensei­gne­ment « métro­po­li­tain » s’imposa avec autant de puis­sance. Dans bien des récits his­to­ri­ques, ces trans­for­ma­tions sem­blent pres­que aller de soi : “la France” aurait renoué avec ses viel­les habi­tu­des et pra­ti­ques assi­mi­la­tion­nis­tes. Et pour­tant, quand on regarde de plus près, on décou­vre que la réforme sco­laire a été l’objet de vifs débats et de sérieu­ses contro­ver­ses. De plus, ces débats et contro­ver­ses révè­lent dif­fé­rents grou­pes d’acteurs, qui lut­taient pour défi­nir le sens de la réforme sco­laire. Dans ma com­mu­ni­ca­tion, je pro­pose d’abor­der cette période char­nière (1944-1950) sous plu­sieurs angles. Il est impor­tant de sou­li­gner à quel point les admi­nis­tra­teurs colo­niaux cher­chè­rent à défen­dre les écoles colo­nia­les de l’entre-deux-guerre. Les tra­vaux pré­pa­ra­tifs à la Conférence de Brazzaville – tout autant que les déli­bé­ra­tions du « Comité du plan de l’ensei­gne­ment » pen­dant la Conférence elle-même – révè­lent des efforts sérieux pour « sauver les écoles rura­les ». La fin des écoles rura­les fut sur­tout la consé­quence d’autres fac­teurs, que je pro­pose d’exa­mi­ner : l’inter­dic­tion du tra­vail forcé, la pres­sion des élus afri­cains, et l’enga­ge­ment crois­sant du Ministère de l’Éducation Nationale. Au sortir de la Deuxième Guerre mon­diale, la légi­ti­mité de l’admi­nis­tra­tion colo­niale en matière d’éducation fut sévè­re­ment mise en cause. Un procès de l’école colo­niale fut ouvert, en pre­mier lieu par les élus afri­cains, mais aussi par l’Éducation Nationale, qui n’accepta plus d’être exclue des « ter­ri­toi­res » d’outre-mer. Face à ce procès, les écoles de l’entre-deux-guer­res appa­rais­sent très vite comme des écoles pour « sujets fran­çais », alors que les Africains vien­nent d’accé­der à la citoyen­neté. Il nous faut com­pren­dre le désar­roi de l’admi­nis­tra­tion colo­niale devant cette situa­tion. Pendant la période 1944-1950, et même au-delà, beau­coup d’admi­nis­tra­teurs colo­niaux crai­gnent que l’arri­vée des écoles « métro­po­li­tai­nes » ne les prive de leur auto­rité dans ce domaine impor­tant. Et cepen­dant, quel­ques admi­nis­tra­teurs de pre­mier plan, tels Marius Moutet et René Barthes, invi­tent l’Éducation Nationale à jouer un rôle crois­sant en AOF.

Après la Deuxième Guerre mon­diale, le dis­cré­dit de « l’éducation adap­tée » mina pro­fon­dé­ment la légi­ti­mité de l’admi­nis­tra­tion colo­niale dans le domaine de l’éducation. Tout au long de la période 1903-1944, l’admi­nis­tra­tion colo­niale avait invo­qué la spé­ci­fi­cité des « indi­gè­nes » pour jus­ti­fier sa com­pé­tence exclu­sive en matière d’éducation colo­niale. Après la Deuxième Guerre mon­diale, l’admi­nis­tra­tion colo­niale n’a plus de projet éducatif qui puisse couper court aux ambi­tions crois­san­tes de l’Éducation Nationale. Pour com­pren­dre la réforme sco­laire, telle qu’elle se pré­sente à partir de 1944, on doit ana­ly­ser les nou­veaux enga­ge­ments du Ministère de l’Éducation Nationale ainsi que ceux des élus afri­cains. De chaque côté on prône l’inté­gra­tion des écoles loca­les dans le sys­tème sco­laire métro­po­li­tain. La col­la­bo­ra­tion entre le Ministère de l’Éducation Nationale et les élus afri­cains va abou­tir, en 1950, à la créa­tion de l’aca­dé­mie de l’AOF, qui sera gérée plus ou moins direc­te­ment par des fonc­tion­nai­res de l’Éducation Nationale. Cette col­la­bo­ra­tion se montra effi­cace tant que l’admi­nis­tra­tion colo­niale n’avait pas renoncé au contrôle de l’ensei­gne­ment en AOF. Et pour­tant, les visées des deux côtés n’étaient pas tou­jours les mêmes. En sou­te­nant l’assi­mi­la­tion admi­nis­tra­tive des écoles afri­cai­nes, l’Éducation Nationale cher­chait, entre autre, à ouvrir de nou­veaux champs à son action. Les ambi­tions expan­sion­nis­tes de ce minis­tère « métro­po­li­tain » trou­vè­rent un ter­reau fer­tile dans cette « Union Française » qui était mar­quée par des dis­cours égalitaires. Les élus afri­cains invo­quent eux-mêmes les prin­ci­pes égalitaires de la Quatrième République pour mieux sous­traire l’ensei­gne­ment au contrôle de l’admi­nis­tra­tion colo­niale. Les soli­des struc­tu­res et pra­ti­ques de l’Éducation Nationale étaient alors per­çues comme une ligne de défense effi­cace face à une admi­nis­tra­tion colo­niale qui tenait à pré­ser­ver ses « res­pon­sa­bi­li­tés » en matière d’éducation. Dans ma com­mu­ni­ca­tion, j’exa­mi­ne­rai ces recom­po­si­tions com­plexes du « champ » de l’éducation en AOF. Ce type de recom­po­si­tion n’était cer­tai­ne­ment pas limité à l’AOF, mais des com­pa­rai­sons et contras­tes avec d’autres par­ties de la « France d’Outre-Mer » res­tent à faire.