Des pages entières de l’histoire coloniale restent encore mal connues. C’est le cas, notamment de l’action des milieux laïques dans le Maghreb colonial. Le cas des fédérations de Tunisie de la SFIO et de la Ligue française de l’enseignement à l’époque du protectorat français en constituent de très bons exemples.
S’efforçant de prolonger en terre coloniale l’œuvre de « leurs maisons mères » métropolitaines, ces deux structures, à dimension politico-culturelles, mèneront, de leur création au début du 20è siècle jusqu’à l’indépendance tunisienne, un combat résolu pour la défense et la promotion de la laïcité. Convaincus de la légitimité de l’entreprise coloniale ,ces représentants d’une certaine gauche républicaine (parmi lesquels nous comptons beaucoup d’enseignants) voulurent faire de l’école publique française en Tunisie, le fer de lance d’une mission « civilisatrice » à laquelle ils semblaient sincèrement croire .Mais que cachent vraiment ces mots ? De quelle école s’agissait-il au juste ? Quel contenu précis prétendait-elle fixer à l’enseignement qu’elle entendait dispenser, à l’attention de quels publics scolaires et avec quelles finalités ? Quelles étaient, en somme, la nature exact et les ambitions du projet scolaire défendu par ces tenants d’un certain progressisme colonial ? Avec quels moyens- mais aussi avec quelles alliances- entendaient-ils les mettre en œuvre et les amener à bon port ?
Ces questions étaient, à vrai dire, – dans le contexte indiqué – d’autant plus problématiques que la thématique laïque se trouvait directement confrontée au fait colonial lui-même mais également à la réalité socioculturelle musulmane. Cette rencontre aurait pu, pourtant, être féconde. De prometteuses évolutions commençaient, d’ailleurs à se dessiner dès l’entre deux guerres et même à se consolider après la seconde guerre mondiale. Un grande partie de l’élite politique et intellectuelle tunisienne, formée à l’époque coloniale, n’en constitue- t-elle pas, du reste, la preuve indéniable ? Mais cette gauche française de Tunisie était- comme bien souvent en situation similaire - piégée par ses contradictions, ses certitudes et ses préjugés et incapable, finalement, d’envisager le pays réel autrement qu’à travers son propre miroir.
Nous nous proposons d’aborder ce sujet en puisant, principalement, dans les écrits, fort abondants, des socialistes et des « ligueurs » de Tunisie, témoins loquaces et- à leur manière - précieux d’une période cruciale de l’histoire de ce pays.